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La petite dernière ou la dernière fois au cinéma ?

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J’espère ne plus jamais sortir d’une salle de cinéma en ayant le coeur lourd d’autant de ressentis désagréables. Je ne veux plus jamais être assise devant ce si grand écran qui perpétue, à nouveau, mille choses problématiques et contestables.

C’est épuisant, énervant et puis parfois désolant. Ces films dont on espère tant - y trouver une nouvelle voix, un bel exemple. Un film qui sera à recommander et qui dira « Ruez-vous au cinéma ! Ce film est absolument nécessaire.»

Je ne veux plus, j’espère, et pourtant je sais que ça arrivera de nouveau - à moins de ne plus aller au cinéma.

(Cet article est un article rédigé à 4 mains, par Safia et Andrea Mary. Parler de ce film et n’évoquer que les problématiques, soit liées à la question de la représentation de la religion, soit à la question de la représentation de l’homosexualité - n’était pour nous pas correct et mettait dans l’ombre (involontairement certes) un sujet tout aussi important que celui traité. Ainsi nous mêlons nos deux expériences, connaissances, vécus et ressentis afin de dépeindre aussi complètement que possible ce film qui pose questions. (oui, au pluriel !))

J’ai vu La petite dernière réalisé par Hafsia Herzi et je n’aurais pas dû aller le voir. Chaque fois qu’un film LGBTQIA+ est en tête d’affiche je suis terriblement partagée : soulagée et heureuse de voir cette nouvelle représentation. Pourtant aussi très anxieuse à l’idée de la découvrir : sera-t-elle sensible et juste ou bien encore le résultat de trop nombreux stéréotypes ? De la représentation, OUI - pourvue qu’elle soit bonne.

Une bande-annonce qui intrigue, la littérature qui rassure.

Je me rends dans cette salle de cinéma, en ayant vu la bande-annonce : elle m’attire et m’intrigue. Malgré la crainte toujours présente d’une déception au cinéma, je me dis « Pourquoi ne pas le tenter ? ». Je sais que c’est une adaptation littéraire de Fatima Daas. Livre que je n’ai pas lu entièrement mais que j’ai feuilleté, j’ai aimé d’ailleurs l’écriture plutôt simple de Fatima Daas, la mise en page et ses tournures de phrases. Sans trop savoir pourquoi, savoir que c’est une adaptation littéraire me rassure : ce sont des personnes concernées, qui existent dans cette réalité que nous partageons toustes.

J’y vais, confiante.

Très vite la désillusion intervient : ça ne sera pas l’un de ces films que l’on recommande, mais un film que l’on déconseille avec une liste d’arguments bien trop longue. Ces une heure et quarante-sept minutes me semblent bien trop longues, rythmées entre sexualité à outrance, stéréotypes et grande différence d’âge.

Sexualité débordante présentée comme vérité générale

C’est selon moi toujours le problème majoritaire dans les films LGBTQIA+, une sexualité débordante qui prend beaucoup de place, et dans la vie de ces personnages et à l’écran. La petite dernière n’y échappe malheureusement pas. Je ne parle pas ici nécessairement des plans qui sont tournés; je reconnais que les actes sexuels sont en réalité presque invisibles à l’écran, tout se joue pour beaucoup dans l’implicite - ce qui rend peut-être aussi curieux que ce film soit néanmoins très axé sur la sexualité.

Entre scène de sexe orale (dans le sens oralité du terme) dans une voiture, scène de sexe sous- entendue dans une soirée, un plan à 3 filmé durant quelques secondes alors qu’il débute, mais aussi des plans qui laissent suggérer qu’un acte sexuel va débuter/ vient de se terminer, des réveils le lendemain matin, corps nus dans les draps ou encore de très longues scènes de baisers.Au milieu de tout ça, bien sûr de très longues discussions sur les relations sexuelles entre femmes (sous-entendues entre femmes cisgenre dans le film) : le cunnilingus et les ciseaux. Présentés comme une sexualité complète, sans pénétration possible ou envisageable au gré des envies.

Le problème n’est évidemment pas d’avoir une forte libido, plusieurs partenaires sexuels, des envies et attirances concernant certaines pratiques sexuelles mais bien l’angle du film qui le livre à mon sens comme une réalité, une vérité universelle qui dirait presque « voici la sexualité de femmes lesbiennes ».

Lors d’une interview Hafsia Herzi affirme qu’elle a « plus de sensibilité à regarder un vrai baiser que des gens qui vont simuler un acte sexuel ». Cette affirmation d’Hafsia m’intrigue énormément. En quoi un baiser de cinéma serait-il différent d’une scène de sexe de cinéma ? Le baiser n’est pas moins fictif, pas moins simulé.

Des différences d’âge qui ne posent pas questions.

J’aborde ce point avec énormément de mesure et en ayant conscience que ce film se base avant tout sur une histoire vécue. Et que - oui - les écarts d’âge existent dans certaines relations, comme l’a vécu Fatima Daas, et bien d’autres d’entre nous lisant cet article. Il me semble d’ailleurs pertinent d’intégrer quelques extraits du livre original. Page 71 et page 104.

«À vingt-cinq ans, je rencontre Nina Gonzalez.À ce moment-là, je me pense polyamoureuse.

Je fréquente deux femmes, Gabrielle et Cassandra.

Cassandra a vingt-deux ans.

Gabrielle en a trente-cinq.

Cassandra est « trop petite » pour moi.»

 

«Je déteste cet endroit, mais j'aime bien la femme qui y travaille.

Je viens d'avoir dix-huit ans. Elle en a trente-deux.»

C’est une réalité qui touche bien souvent notre communauté queer que de relationner avec des personnes plus âgées, ce qui implique à l’inverse aussi de relationner avec des personnes plus jeunes.

Seulement le film ne le questionne pas, et positionne encore une fois ce sujet comme normal, évident, sans problème. Nous apprenons l’âge de la première copine de Fatima Daas (joué par Nadia Melliti) au travers d’un profil d’une application de rencontre, il est alors inscrit 30 ans (joué par Park Ji-Min). Ensuite l’âge n’est plus mentionné aussi clairement mais la femme qu’elle rencontre pour un rendez-vous dans la voiture, jouée par Sophie Garagnon représente une femme d’une quarantaine d’année.

On peut noter aussi l’âge du couple lesbien avec qui Fatima aura une relation sexuelle, qui doit être d’une quarantaine d’années également.

C’est un problème de représenter au cinéma un désir sexuel, intime, relationnel entre une jeune femme qui est en train de passer le bac et une femme qui a la quarantaine.

C’est un problème car ce film aide à la représentation des personnes queer.

C’est un problème car cette représentation devient bien trop vite un exemple, s’il n’est pas questionné au sein même du film ou dans la promotion de ce dernier.

Écrire un film LGBTQIA+ mais ne pas être concernée ?

Dans une interview Hafsia Herzi confie : « C’est un milieu que je connaissais pas tellement, à part mes ami•es. J’avais besoin d’aller voir sur le terrain et m’imprégner de choses. » et « J’ai rencontré beaucoup de personnes LGBT, je suis allée dans des soirées, j’ai échangé avec, beaucoup de lesbiennes pour en savoir un petit peu plus sur la sexualité lesbienne, parce que c’est pas quelque chose que je connaissais, donc il fallait que je me renseigne. »

Mais comment représenter ce que l’on ne vit pas, ce que l’on ne connaît pas ? C’est pour moi une réelleinterrogation, je serai toujours d’avis de laisser la voix aux personnes concernées. Sinon la réalité que l’on désire dépeindre est bien souvent biaisée, mêlée de stéréotypes et de fausses idées. Ce film, bien qu’il soit adapté d’une histoire vraie qui est écrite par Fatima Daas elle-même lesbienne, n’est à mon sens qu’un film queer réalisé avec un regard hétérosexuel. Je trouve cela particulièrement indélicat d’autant plus que le film a remporté la queer palm cette année.

Entre réalité et fiction au cinéma.

Bien évidemment et je me le répète chaque fois que j’apporte une nouvelle critique envers ce film. Il est difficile de s’en prendre au film en tant que tel puisqu’il est adapté d’une oeuvre littéraire. Si tel est le vécu de Fatima Daas : on ne peut pas le nier, on ne peut pas qualifier son vécu de « bon » ou de « mauvais ».

En revanche on peut prendre une position qui permet de dire « Faites attention à vous», qui apporte de la nuance, des questionnements et de la réflexion. Je crains simplement le regard de jeunes gens, en quête d’eux-mêmes qui prendront ces images pour des conseils, pour des exemples et se retrouveront dans des situations délicates, dangereuses et inquiétantes. Je crains aussi tout simplement la jeune fille que j’étais, qui aurait pu prendre ce film comme un bel exemple de ce que peut être une relation amoureuse.

Ce qu’a vécu Fatima Daas est une réalité : ce sont OUI des réalités. Il est cependant nécessaire de le remettre en question pour éviter qu’un schéma se répète.

---------

A vrai dire je ne vais plus que rarement au cinéma, surtout lorsque se trouve en tête d’affiche, des films où sont en jeu des représentations religieuses (au sujet de l’islam précisément) tout en représentant la figure culturelle actuelle de « l’arabe », qui impose la réduction totale de toutes cultures et identités qui y seraient reliées de manière raciste et stigmatisante.

Sur le plan racial je suis perçue comme une femme maghrébine de confession musulmane, mais je ne me considère pas comme une arabe. D’origine algérienne, j’en possède seulement des influences - pourtant je vais souvent être nommée par ce mot : « l’arabe ».

J’ai alors pu faire la rencontre de ce livre La petite dernière de Fatima Daas l’an dernier. J’étais en recherche constante de représentations de femmes qui ne s’excuseraient plus d’exister ; et c’est ce que j’ai trouvé au sein de ce roman. Les faits sont énoncés de manière simple - le lien à la religion bien que très complexe dans ce contexte n’empêche pas d’y faire émerger de l’amour p.20 : 

« J'aime me retrouver sur mon tapis de prière, sentir mon front sur le sol, me voir prosternée,

soumise à Dieu, L'implorer, me sentir minuscule face à Sa grandeur, à Son amour, à Son

omniprésence. ».

Chose qu’on ne retrouve plus aujourd’hui dans les représentations quotidiennes et surtout télévisées où l’islam représenterait exclusivement la haine, la violence, la contrainte et l’exclusion.

En toute honnêteté je n’ai même pas pu regarder le film dans son intégralité, les quelques scènes dans la cuisine ou avec l’imam m’ont très fortement dérangée et j’ai vite compris de quoi il était question. Il faut toujours laisser planer cette idée que chez nous - en l’occurence au Maghreb, les femmes sont seulement éduquées afin de devenir de bonnes épouses. On leur apprend à cuisiner, à tenir le foyer dans un seul et même but : trouver un mari.

Scène dans la cuisine - Fatima rentre dans la cuisine - « Salem tout le monde » ses soeurs

et sa mère sont en train de cuisiner, Fatima goûte et sa soeur lui dit « Tu sers à rien, tu vas faire

comment plus tard avec ton mari ? »

C’est une notion qui me dérange fortement surtout lorsqu’il est question d’émancipation. Il faut sans cesse suivre le destin d’une adolescente différente, contrainte par son foyer culturel et sa religion, qui doit nécessairement s’en affranchir pour s’en sortir.On peut trouver toutes sortes de réalité dans chaque composition familiale et culturelle,.

L’important n’est pas de savoir si ce qui est décrit dans ce film est ce que nous pouvons réellement vivre ou non, mais plutôt de savoir pourquoi est ce qu’on serait nécessairement en tant que femme maghrébine réduite à s'élever dans un seul et même but : se marier ? Dans la suite du film, la notion de féminité prend vie. Son autre soeur soutient

- « Qui va vouloir la marier, elle à zéro féminité regarde. »

Cela renforce cette idée énoncée, au sujet de la construction de la féminité maghrébine à travers le prisme d’un homme en l’enfermant. Un contraste violent qui oppose d’un côté le fait que Fatima soit lesbienne et de l’autre cette idée imaginaire de devoir nécessairement se construire dans la direction d’un homme.

On ne peut pas laisser véhiculer ces idées réductrices, laisser des jeunes filles se construire avec ces stéréotypes des familles à culture maghrébine qui, dans la pensée occidentale pensent la femme comme soumise à ses pères, ses maris, ses frères. Femmes qui se contenterait de faire la cuisine et qui ne cherche pas à s’éduquer ni à s'élever. Une culture maghrébine qu’on apprécie lorsqu’il s’agit d’en extraire des plats traditionnels, mais qu’on ne respecte pas et qu’on limite en se contentant de la représenter comme une partie du monde reculée, qui ne peut penser les questions d’émancipation, de féminité ni même de penser sa propre évolution.

Enfin bref, je ne m’attendais à rien d’un film prisé au Festival de Cannes qui contient des questionnements culturels : l’exotisme était inévitable, mais son caractère intériorisé est d’autant plus violent pour moi. Se dire que la réalisatrice et les acteur•ices n’ont pas été gêné•es de tourner toutes ces scènes, qu’iels ne se soient pas rendu•es compte que cette représentation se contente simplement de nourrir le débat politique actuel, concernant la religion et la prétendue culture arabe qui doit déranger la France.

Au lieu de penser les questions de l’émancipation à travers un système qui ne veut pas accepter ton évolution, au lieu de penser la question de la sexualité à travers la religion, de la suggérer et de surtout retranscrire cette relation d’amour avec Dieu que possède Fatima, qui pense son homosexualité comme une épreuve et qui ne l’empêche pas de fortifier sa foi, et d’investiguer cette relation.

Scène avec l’imam - Fatima va se renseigner au sujet de l’homosexualité qui concernerais une de ces amies et l’imam lui dit : « l'homosexualité est quelque chose de prohibé. L’instinct de l’homme est d’être attiré par les femmes, et l’instinct des femmes et d’être attirée par les hommes. »

Dans chaque situation, l’islam recommande de traiter tous les individus avec respect et compassion, même lorsque l’on est pas d’accord avec leurs actions. Ici je trouve une scène dénouée de sentiments, les choses sont dites de manières catégoriques non expliquées ou accompagnées. À la différence du livre ou Fatima se renseigne auprès de plusieurs personnes, s’encourage à prier sincèrement pour demander la guidance. On à l’impression que c’est un non sujet, qu’il faut vite passer à autre chose religieusement. De même, lorsque nous nous questionnons nous en tant que croyant.es nous en parlons à notre entourage, pas seulement à un imam, dépeindre cette recherche seulement à ce niveau la n’a pas vraiment de sens pour moi. Le problème est alors que le film à été pensé de manière réfléchi et non pas en réflexion à contrario du roman.

Extrait du livre - p.109

« Il existe des chrétiens homosexuels comme il existe des lesbiennes

musulmanes. Dieu sait mieux que nous, et nous ne savons rien. Dieu a créé les péchés en sachant

que nous pécherions. Mais l'homosexualité est interdite en islam, il faut s'en éloigner. Votre amie

doit multiplier ses invocations, continuer à pratiquer et en faire plus : prier la moitié de la nuit,

jeûner le lundi et le jeudi. Dites-lui de demander de l'aide à Dieu, de L'invoquer, de se repentir.

C'est son épreuve. »

 

.Je trouve très délicat de penser un sujet qui ne nous concerne pas, c’est pourquoi je ne me permets pas de parler plus amplement de l'homosexualité au sein de la religion musulmane n’étant pas concernée. Malgré ça, au sein du film je ressens une tension, je comprends que les choses ne sont pas montrées de la bonne manière tant à travers le vécu des relations lesbiennes qu’a travers le vécu de l’orientation sexuelle au sein de la religion. La version écrite m’avait beaucoup plu, beaucoup touchée parce que Fatima n’essayait pas de nous convaincre de son existence, elle était et c’était ainsi, en pensant constamment (par le simple fait même de la répétition de son identité en début de page) ce qui laissait place à une recherche et construction personnelle. Hors dans le film, tout est imposé, emprunt de manière cliché que ce soit culturelle, sexuelle ou religieux je perds cette réflexion et ce droit d’exister. On lui interdira même (par le biais de la scène avec l’imam) en l’enfermant et la condamnant à rester seule dans ces questionnements.

Merci à Safia de m’avoir accompagné dans la rédaction de cet article, pour les mots et la confiance.

Crédit photos : Copyright 2025 June films Katuh studio Arte France mk2films

Par Andrea Mary

Dernière modification le 11/12/2025 à 16h08

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