Je n'ai vu mon grand-père pleurer qu'une seule fois dans ma vie.
De difficiles larmes versées par le souvenir d'une des périodes les plus bouleversantes de sa vie : ses années passées en Algérie durant une guerre qui aura duré 8 ans, 8 années qui le marquèrent à jamais, et qui réveillent de terribles images à chaque fois qu'il me montre des photos et le journal qu'il tenait entre les affrontements, lieux de batailles qui deviendront le futur territoire de l'Algérie telle qu'on la connaît.
Cette image m'aura marqué toute ma vie, et elle refait surface lorsque je me rends au théâtre pour assister à l'une des premières représentations de la nouvelle mise en scène d'Arthur Nauzyciel, adaptée de la pièce de Jean Genet : Les Paravents.
Depuis les vives réactions créées par la pièce originale et ses premières représentations en 1966, 4 années seulement après le dénouement de la guerre d'Algérie et dans un contexte politique en ébullition, Les Paravents résonna dans de nombreux esprits comme le symbole d'une période trop souvent oubliée des livres d'histoire, dont il est encore tabou de parler pour beaucoup, mais qui hantent les esprits de ceux qui l'ont vécu et qui y ont participé en étant témoin des pires atrocités.
Je me présente donc afin d'assister à cette présentation en 2023 de cette pièce monumentale comportant une centaine de personnages, interprétés par 16 comédiens, lors d'un récital de 3H45, véritable défi pour un metteur en scène que d'apporter son empreinte à cette oeuvre tout en apportant de la lumière sur cet événement par les figures de ce conflit représentées tout au long de son récit.
Mais en sortant de la salle, je reste subjugué par la prouesse autant technique que symbolique que cette mise en scène représente. En prenant comme oeuvre de base un texte qui peut paraître indigeste pour certains, Nauzyciel arrive à nous tenir en haleine par des tableaux impressionnants montrant à la fois les tourments d'une communauté arabe qui cherche à trouver une place parmis l'oppression exercée par une partie de l'armée française qui est elle composée de soldats éloignés de chez eux, perdus, ne répondant qu'aux ordres de supérieurs et d'hommes de pouvoir tyranniques.
C'est par cette richesse d'exposition et le talent des comédiens que cette mise en scène brille, faisant constamment évoluer le plateau autour d'un seul et immense escalier dont l'imaginaire de chacun se laisse porter par l'interprétation d'éléments tous plus impressionnants les uns que les autres, et retrace avec brio les souvenirs torturés de cette Algérie et des communautés arabes perdues dans un conflit qui ne laissera qu'un goût amer pour les deux camps.
Crédits : Les Paravents - Arthur Nauzyciel- SC MEDIAS
Et par des scènes mémorables exposant le drame de ces relations qu'entretiennent les personnages, je me remémore les yeux de ces personnes qui se taisent mais qui ont hérité de toutes ces visions tragiques causées par cette guerre. Arthur Nauzyciel choisit d'acter sa mise en scène sur les mots de Genet qui adresse sa pièce "à un jeune mort" : avec du recul, il nous faut rendre hommage non pas à un camp ou à des politiques, mais à tous ces jeunes qui eurent un impact de près ou de loin lors des conflits ayant éclatés au Maghreb durant cette période, français ou arabes, décédés pour leurs idéaux incompris.
Vous pourrez assister aux futures représentations des Paravents mis en scène par Arthur Nauzyciel au Théâtre national de l'Odéon à Paris du 31 mai au 19 juin 2024, et l'équipe de Joly Môme vous encourage fortement à vous laisser séduire par cette impressionnante mise en scène digne d'un texte historique en tout point, qui ravivera les mémoires d'un conflit dont les répercussions sont toujours visibles aujourd'hui.
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