Après l’avoir écouté lors d’une table ronde au festival Pop&Psy autour de l'insomnie et de son dernier bouquin Pas Dormir, j’ai pu rencontrer et discuter avec Marie Darrieussecq. Ancienne normalienne, ancienne psychanalyste, elle a publié une vingtaine de livres, surtout des romans, et des nouvelles, une biographie, une pièce de théâtre, des essais, des traductions. Depuis Truismes en 1996, elle est fidèle à son éditeur POL. Prix Médicis en 2013 pour son roman Il faut beaucoup aimer les hommes, elle collabore à des magazines d’art contemporain en France et en Grande-Bretagne. Elle a reçu le Prix CIEF pour l’ensemble de son œuvre, qui est traduite dans de nombreux pays. Pas Dormir, un essai sur l’insomnie, est paru chez POL en septembre 2021. Son nouveau roman Fabriquer une femme paraîtra chez POL en janvier 2024. Voici notre échange !
- Bonjour Marie Darrieussecq ! Est-ce que vous pouvez nous présenter votre parcours, qui vous êtes, etc ?
- Je veux être écrivaine depuis toute petite, donc c’est ma ligne droite. Mais je viens d’un milieu où personne n’a été artiste, et comme la plupart des gens ne vivent pas de leur écriture, j’étais persuadée qu’il fallait que je fasse quelque chose à côté. J’ai fait des études de lettres. Puis quand je suis devenue écrivaine et que j’ai réussi à en vivre, de manière tout à fait inattendue et extraordinaire, c’était très difficile de ne faire qu’écrire. Ça rend un peu dingue. Donc j’ai cherché à faire d’autres métiers, plus pour rester au contact d’une espèce de réalité que par besoin d’argent. Je suis devenue psychanalyste. Être psy, c’est être là. C’est ce qu’on demande à un psy. J’ai eu des patients avec lesquels j’avais l’impression qu’il ne se passait pas grand chose pendant une certaine période, et mon superviseur me disait : “Oui, mais il est venu. Il a vu que vous étiez là. C’est ça qu’il est venu vérifier”. Personnellement, pendant une partie de ma vie, la seule personne fixe qui était là, c’était un psy. C’était la seule personne vraiment fiable, parce qu’il était là. D’ailleurs, je me souviens de la seule fois où il n’a pas été là et j’étais dans tous mes états, inquiète, etc. C’est le cas chez beaucoup de gens !
- Ça vous a plu comme métier ? Vous l’avez fait combien de temps ?
- Énormément ! C'est aussi une très grande responsabilité, et y’a une part d’angoisse qui est totalement soluble dans le contact avec les autres. C’est un métier à la fois solitaire et solidaire, et d’équipe aussi. J’ai fait ça une dizaine d’années, les cures étant assez longues.
- Pour en revenir à votre dernier essai, Pas Dormir, sur l’insomnie. Vous êtes insomniaque depuis longtemps ?
- Depuis 22 ans ! J’explique dans le livre pourquoi, mais je ne vais pas vous le dire pour ne pas spoiler !
- Je comprends ! Quelle est la structure de l’essai ?
- Il n’y a pas vraiment de structure. C’est un livre en spirale, qui peut se lire par le milieu, par la fin, par le début. C’est un très bon livre à feuilleter, en particulier la nuit. Il a été en partie écrit la nuit. C'est un livre qui procède d’image en image, c’est un livre avec beaucoup d’illustrations, parce que la nuit on est assailli par des images dont on a pas toujours envie. C’est un livre qui fonctionne par associations d’idées, comme une insomnie. Au bout du compte, il y a quand même sept parties mais elles sont apparues après coup. Il y a un côté écriture automatique, mais je ne voulais pas non plus perdre les gens. C'est moins déstructuré, je voulais qu’on puisse me suivre.
- Est-ce que ça a été un processus d’écriture plutôt solitaire ou avez-vous rencontré des gens ?
- Je l’ai écrit dans mon coin, mais en lisant énormément d'autres auteurs insomniaques : Proust, Duras, Kafka, Virginia Woolf... Quelques peintres aussi comme Turner. Beaucoup de cinéastes comme Claire Denis. Plus que de l’inspiration, c’était presque une enquête. En résumé, j’y parle de l’état général de l’insomnie, dans tous les sens que ça peut prendre.
- Quand on parle d’insomnie, on fait assez rapidement le lien avec l’angoisse. Est-ce que vous trouvez que c’est pertinent ?
- Oui, mais je trouve qu’on ne parle pas assez d’un autre lien important : l’insomnie et la dépression. L’insomnie est à la fois un signe et un résultat de la dépression, comme un cercle vicieux. L’insomnie est un univers de paradoxes et de cercles vicieux, c’est épuisant.
- Vous devez avoir un lien particulier avec la santé mentale, que ce soit en tant qu’insomniaque mais aussi ancienne psychanalyste.
- Oui évidemment. D’abord parce que la psychanalyse m’a sauvé la vie, notamment quand j’ai traversé un épisode dépressif grave entre 23 et 26 ans, où j’étais obsédée par l’idée de me tuer et la psychanalyse m’a sauvé de ce goufre. Puis dans ma famille, il y a beaucoup de suicidés, beaucoup de fous. Je dis le mot “fou” avec beaucoup d’affection. C'est un mot que j’aime. Et je pense que si on dédramatise ce mot, ce qu’on sait, si on en avait moins peur, les fous iraient mieux de façon structurelle. Sans l’écriture, c’est évident que je suis une personnalité borderline (*trouble de la personnalité limite). L’écriture m’a maintenu du “bon” côté de la limite, du côté où je peux ne pas trop souffrir. L’écriture a été mon rempart thérapeutique à des troubles cliniques plus graves. Et être publiée a aussi été très thérapeutique.
- Et pour terminer, j’aimerais savoir vos motivations pour venir à ce festival Pop&psy, autour de la santé mentale ?
- L’importance de déstigmatiser, que les gens arrêtent d’avoir peur des fous. Ce sont les fous qui sont en insécurité, pas l’inverse. C’est eux qui vivent une vie dangereuse, cernée par des dangers. Beaucoup n’ont pas compris que la plupart des fous sont beaucoup moins dangereux que les gens normaux. Ils ont une forme de lucidité, de créativité, d’humanité que les autres n'ont pas.
Merci à Marie Darrieussecq pour sa gentillesse et la pertinence de notre échange !
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